7) La combinaison entre musique, paroles et visuel est essentielle dans votre pratique et nous avons apprécié la manière dont la tapisserie sonore donne aux images de CREATURES une atmosphère si éthérée: en tant qu’artiste particulièrement préoccupé par le lien entre le son et les images en mouvement, comment considérez-vous le rôle du son dans votre pratique et comment voyez-vous la relation entre le son et le mouvement?
A la Fabrique Autonome des Acteurs nous militons pour le travail en équipe. Je pense qu’il est absolument nécessaire à une équipe artistique de partager l’ensemble du processus créatif plutôt que d’arriver dans le travail au moment où sa compétence propre est requise.
Juliette Salmon, qui a composé la musique, est actrice et musicienne. Elle a suivi les répétitions et le tournage. Elle a collaboré au scénario et au montage du film. Nous avons pensé le son une fois le montage fini. Nous avons eu l’accord d’Emily Loizeau (compositrice, interprète, présidente de la FAA) pour l’utilisation de sa chanson May the beauty make me walk qui nous est apparue comme une évidence dramaturgique forte en lien tant avec les espaces de Bataville qu’avec cette course-poursuite entre la danseuse et l’animal.
Juliette m’a proposé des pistes pour la composition musicale que nous avons discuté ensemble, puis elle a commencé à composer et nous avons travaillé par aller-retour. Je vais donc lui passer la parole pour raconter comment le son s’est construit.
Juliette Salmon :
Comme actrice, j’ai toujours été très sensible à la question du son et de l’écoute et attentive aux procédés qui permettent au son de ne pas être seulement un support mais un réel partenaire, de l’acteur ou du spectateur. Avec CREATURES, l’envie était à la fois de pouvoir rendre palpable la matière sonore, de travailler sur les sensations auditives, de jouer sur les contrastes d’espace (tailles, textures, imaginaires), et de soutenir image et mouvement sans jamais les illustrer. Daria étant également passionnée de science, nous avons un moment envisagé la piste du son comme un « faux documentaire animalier », ce qui nous a amené à choisir les textes de Charles Darwin sur les chevaux. Peu à peu cette voie a été abandonnée et Darwin est resté comme matière à la fois poétique, dramaturgique et rythmique grâce au travail vocal de l’actrice Laure Catherin.
Ce qui est passionnant avec la création sonore est cette possibilité de jouer avec les oreilles du spectateur, de lui mentir, de le laisser s’habituer à une ambiance pour le surprendre l’instant d’après. Dans le lien à l’image, il rend possible les glissement, il ouvre les interprétations possibles, il focalise notre attention en cohérence ou en décalage avec ce que nos yeux voient et participe ainsi du réveil de l’intérêt.
Dans le rapport au mouvement, il se place ici dans un accompagnement remplissage-aération. Les plans sonores se fournissent pour soutenir certaines montées physiques et redescendent avec lui par disparition de couches.
Pour finir, je dirais qu’il était également très important pour nous de rendre vivant les espaces incroyables de Bataville qui nous servent de set, et que la sensation réelle de ces espaces passe aussi beaucoup par les sons très contrastés qu’on y entend, entre industrie et campagne, entre intérieur et extérieur.