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Quelle a été ta première grande expérience de l'enseignement ?
En 2013 j'ai contribué à créer le conseil pédagogique de l'Ecole du TNB, et j'ai, pour la première fois, donné une master-class seule. La première question que je me suis posée est : depuis quelle place j'enseigne ? Il m'a semblé logique, dans une école d'acteurs, d'enseigner en tant qu'actrice. Ceci n'allait pas sans son lot de problèmes. Avant tout parce que je n'ai que très peu étudié le théâtre dans un cadre institutionnel, je n'ai fait que quelques stages. La formation qui m'a construite est la danse, j'allais donc devoir expérimenter plus que reproduire. Mais aussi parce que la pédagogie de l'acteur, depuis le 20ème siècle, est fondamentalement portée par le metteur en scène (il est intéressant de noter que la très grande majorité des intervenants dans les écoles supérieures d'art dramatique françaises sont des metteurs en scène). Auparavant j'avais de fait beaucoup enseigné aux côtés d'Eric Lacascade, metteur en scène et excellent pédagogue. Il me fallait comprendre en quoi ce changement de point de vue modifiait l'objectif pédagogique que j'avais eu jusque là.
Qu'est-ce que cela veut dire enseigner en tant qu'actrice ?
Cela veut dire enseigner en dehors d'une esthétique spécifique. L'enjeu, plutôt que d'apprendre à bien jouer avec tel ou tel metteur en scène, ou dans telle ou telle « mouvance » du théâtre actuel, est d'apprendre des fondamentaux. Ces outils serviront dans le travail avec n'importe quel.le metteur en scène, dans n'importe quelle esthétique. J'appelle ces fondamentaux outils, ça n'a rien d'original (car je ne pense pas découvrir quoi que ce soit d'un métier qui se pratique depuis des millénaires), mais j'en apprécie la référence à l'artisanat. Un menuisier qui a appris à très bien utiliser une scie égoïne peut décider de l'utiliser pour construire une table toute simple ou une style Louis XV. C'est son choix. Dans ce sens il me semble qu'identifier, apprendre et cultiver les outils du métier d'acteur construit des acteurs plus, voir carrément, autonomes. Des acteurs qui n'ont pas besoin d'être « dirigés », ce qui permet une conception plus coopérative de la troupe par rapport aux réalités actuelles.
C'est au moment où j'ai commencé à enseigner que j'ai commencé à apprendre.
Quelle place pour la trans-disciplinarité dans ta pédagogie ?
Une place prépondérante. La pédagogie de l'acteur aujourd'hui reflète un très grand flou, qui n'a pas que des désavantages, mais qui laisse chaque acteur seul face à son métier. Chacun est obligé de voler, tester et incorporer des techniques où et comme il peut, il y a très peu de place pour la confrontation et la théorisation entre pairs...Chacun fait sa cuisine, comme on dit dans le jargon. Hors, une pédagogie construite permet à chacun de profiter, au moins en partie, de l'expérience de ceux qui ont pratiqué avant lui. Il me parait donc évident et nécéssaire d'aller se confronter à des pédagogies structurées (celles de la danse, de la musique, des arts martiaux...), et d'en “traduire” le plus possible d'outils pour qu'ils profitent à notre métier. C'est un travail difficile, car il ne s'agit pas de voler quelques exercices et échauffement, mais bien de comprendre comment créer des “propédeutiques” adaptés au jeu. Cette nécessité de trans-disciplinarité est la philosophie de base des Ateliers de formation à la Fabrique Autonome des Acteurs : jamais un atelier n'est conduit par un seul maître de stage, il y a toujours deux, voir trois disciplines en présence pour affronter un “fondamental” depuis des pratiques et des pédagogies différentes.