Le théâtre, tel que nous le faisons et le pensons, est un vaste terrain d’expérimentation sur les fonctionnements de l’humain. Il est dans ce sens outil de connaissance, de savoir. Mais à cause de toute sortes de malentendus contemporains sur l’art et les artistes, ce savoir n’est que très peu formulé, confronté, transmis, entre pratiquants d’abord, et encore moins avec d’autres domaines de la connaissance.
Nous revendiquons l’idée que le cloisonnement des disciplines qui a caractérisée notre système éducatif est en train de montrer ses limites. Que le croisement des connaissances est le prochain défi du savoir et de son organisation, de notre culture en somme. Et que ceci concerne le théâtre au premier chef parce que, alors qu’il peut être un propagateur, un inventeur même de cette culture, il est aujourd’hui la plus part du temps imperméable et réfractaire à bien des domaines, notamment la science. Nous ne parlons pas ici du contenu de l’objet spectacle, qui peut évidemment s’approprier toute thématique, nous parlons d’une confrontation/collaboration en termes de méthodes et sujets de recherche.
Les Laboratoires au sein de l’école ont pour ambition de chercher et mettre en pratique des protocoles d’expérimentation qui réunissent sur un même sujet deux disciplines, en privilégiant le croisement avec le domaine scientifique. Il s’agit de définir et mettre en commun l’objet que chaque discipline explore pour elle-même, de trouver dans les différentes méthodes d’investigation celle qui va permettre aux collaborateurs d’intégrer les deux points de vue, et de les interroger par la pratique. Notre volonté n’est évidemment pas de trouver des réponses définitives à nos questions, mais d’initier d’autres questionnements et surtout d’autres façons de s’y confronter.
Si depuis des années le théâtre partage avec d’autres arts matières, méthodes et formes, il doit aujourd’hui se confronter aux bouleversements épistémologiques mis en avant par les neurosciences, l’éthologie, les sciences cognitives ou les études sur les systèmes complexes. Et l’acteur, en tant que chercheur, doit se confronter à ce que d’autres chercheurs élaborent sur notre fonctionnement, notre nature, notre être dans le monde, ce qui est finalement la matière même de son travail.
Que sont les émotions, les sentiments, l’identité, la conscience de soi ?
Comment évolue une structure vivante quand les règles qui la déterminent incluent l’accident, la contradiction, l’aléatoire ?
Comment fonctionnent les sociétés dans d’autres espèces que la notre ?
Que sont un acte instinctif, un réflexe, une action finalisée ?
Selon quelles modalités les observateurs modifient l’expérience scénique ? Est-ce mesurable ?
Ce ne sont là que quelques unes des interrogations que voulons mettre en commun.
Si une école de théâtre ne peut être le lieu d’un cursus approfondi dans une dizaine de disciplines différentes, elle peut être celui où, en inventant des protocoles de travail de plateau adéquats, les jeunes acteurs bénéficient dans leur apprentissage d’un décloisonnement des savoirs. Il s’agit de les pousser à se saisir sans complexes de toute connaissance susceptible de créer de nouveaux angles dans leur travail.
Ce n’est pas à nous de définir l’intérêt de cette collaboration pour les chercheurs invités. Chaque chercheur interviendra de son point de vue et dans le but de sa propre recherche, via un protocole d’expérience commun. La scène est un véritable laboratoire de pointe, in vivo et in situ, qui se confronte aux questions que l’époque pose à tout chercheur, et dont la particularité est d’être accessible, à un moment de son processus (la représentation), à un public de non-initiés. Ce laboratoire permet d’accéder à une connaissance spécifique: le corps de l’acteur en est le vecteur principal, il devient lui-même laboratoire, capteur hyper-sensible.